|
|
![]() |
Sérgio Paulo Rouanet
Plus tard, Hugo devient de façon virulente, anti-monarchiste, et, dans la Légende des siècles il condamne tous les rois, présents et passés, sans faire aucune exception en faveur de Napoléon. Il apparaît évident que, dans cette période, l’empire, pour Hugo, est la négation des principes de liberté individuelle établis par la Révolution française, et du droit d’auto-détermination des peuples que la conscience civilisée de l’univers imposait au 19è siècle. Le dernier poème de Feuilles d’automne est un grand hymne de colère contre tous les abus du pouvoir impérial: "Je hais l’opression d’une haine profonde. / Aussi, lorsque j’entends, dans quelque coin du monde, / Sous un ciel inclément, sous un roi meurtrier, / Un peuple qu’on égorge appeler et crier; / Quand, par les rois chrétiens aux bourreaux turcs livrée, / La Grèce, notre mère, agonise éventrée; / (...) Quand Lisbonne, jadis belle et toujours en fête, / Pend au gibet, les pieds de Miguel sur sa tête; / (...) Quand un cosaque affreux, que la rage transporte, / Viole Varsovie échevelée et morte; / (...) Alors, oh! je maudis, dans leur cour, dans leur antre, / Ces rois dont les chevaux ont du sang jusqu’au ventre! / Je sens que le poète est leur juge! Je sens / Que la muse indignée, avec ses poings puissants, / Peut, comme au pilori, les lier sur leur trône, / Et leur faire un carcan de leur lâche couronne, / (...) Marqués au front d’un vers que lira l’avenir!" Deuxièmement, l’action dominatrice de l’empire, qu’il prenne la forme de la globalisation ou celle de l’expansionnisme américain, provoque des réactions partisanes, défensives, qui se traduisent par une renaissance des spécificités locales, éthniques, culturelles, religieuses. Réapparaissent de vieilles pathologies, que l’on croyait guéries, depuis longtemps, comme le nationalisme, le racisme, et le fondementalisme. Quelque chose de semblable arriva en Vendée, à l’époque de la Révolution française. L’ouragan universaliste qui soufflait de Paris, avec sa tendance à en finir avec les coutumes séculaires des vieilles provinces françaises, leur religiosité, leurs frontières géographiques traditionnelles, leurs langues, leurs poids et mesures, encouragea des réactions locales parmi lesquelles l’insurrection de la Vendée fut la plus dangereuse pour la jeune République. Aujourd’hui comme hier, ces particularismes sont problématiques. On ne peut pas résister à des pressions globales par des moyens locaux. Une réalité impériale dont l’efficacité dépasse toutes les frontières, ne peut être combattue que par des moyens également "transnationaux". Des réactions purement locales sont soit irréalistes, quand elles viennent de la gauche, soit dangereuses, quand elles viennent de la droite. Ce second cas est illustré par des mouvements qui prétendent lutter contre la globalisation par la réactivation des valeurs traditionnelles, comme cela se passe avec le Front national de Le Pen. Que penserait Victor Hugo de tout cela? Nous savons qu’au début, le jeune ultra-monarchiste s’identifiait à la cause de la Vendée. A 17 ans, Hugo célèbre, dans une ode dédiée à Chateaubriand, les "martyrs" qui avaient versé leur sang pour lutter contre la république sacrilège installée à Paris. Mais, comme ses idées politiques évoluent, le ton de Hugo change. En 1874, il publie Quatre-vingt-treize: parmi les personnages principaux se trouve un noble implacable, la marquis de Lancenac, qui mobilise les sympathies féodales des paysans de Vendée et les pousse à commettre des crimes innommables au nom du trône et de l’autel. En 1877, Hugo publie la seconde série de la Légende des siècles où se trouve un poème intitulé Jean Chouan. Hugo continue d’admirer l’héroïsme des Vendéens, mais condamne, sans ambigüités, leur cause. "Paysans! paysans! hélas! vous aviez tort, / Mais votre souvenir n’amoindrit pas la France; / (...) Frères, nous avons tous combattu; nous voulions / L’avenir; vous vouliez le passé, noirs lions; / L’effort que nous faisions pour gravir sur la cime, / Hélas, vous l’avez fait pour rentrer dans l’abîme; / (...) Nous pour fermer l’enfer, vous pour rouvrir la tombe (...)". Cela ne fait pas de doute, ce sont là des éléments pour une réflexion toujours actuelle sur les errements de l’anti-universalisme, quand il prend la forme équivoque d’un retour aux particularismes nationaux. Troisièmement, il existe une autre façon de combattre le globalisme, c’est de l’attaquer sur son propre terrain, à savoir, le terrain international. Nous devons répondre aux risques de nivellement et de subordination implicites dans le globalisme en faisant un saut en avant au lieu de faire un saut en arrière. On doit marcher, en somme, en direction d’une démocratie mondiale, capable de nous faire participer à toutes les décisions qui touchent aux intérêts du genre humain, au lieu de continuer à être des destinataires passifs de politiques prises, en notre absence, dans les grands centres du pouvoir. C’est la grande idée Kantienne d’une république cosmopolite, l’unique capable d’assurer une paix perpétuelle. De même que sur le plan national l’unique alternative à l’empire, acceptable, est la république, sur le plan international, l’unique alternative possible, à l’empire mondial, est une république mondiale. De nouveau, le chemin fut montré par Victor Hugo. L’évolution du jeune légitimiste de 1820 vers la république et la démocratie, est linéaire, sans aucun retour en arrière. Et depuis 1848, il parle de république universelle. Après la proclamation de la République, Lamartine, le poète des Méditations poétiques, chef du gouvernement provisoire dit dans une conversation avec Hugo, qu’il est impossible qu’un homme tel que lui, Hugo, ne soit pas républicain. Hugo répond que même s’il doute de l’opportunité de la proclamation de la République en France, il considère réellement cette forme de gouvernement la plus digne de toutes, affirmant textuellement: "La République universelle est l’ultime parole du progrès". Quelques jours plus tard, il termine un discours improvisé à l’occasion de la plantation d’un arbre de la Liberté, place des Vosges, face à son appartement, par un cri véhément, très applaudi: "Vive la République universelle!". En 1867, l’exilé de Guernesey entrevoit l’avènement d’une grande nation: "Cette nation s’appellera l’Europe au vingtième siècle, et les siècles suivants, encore plus transfigurée, elle sera appelée l’humanité."
< Page précédente | Page suivante >
|