ACTES


Ce siècle a deux ans: A propos du bicentenaire de Victor Hugo

Sérgio Paulo Rouanet

Il est évident que pour lui cette république ne pourra être que démocratique. C�est ce qui apparaît clairement lorsqu�il confronte la république terroriste de 1793, qui opprimait les citoyens par une dictature de la vertu, à la république dont il se déclarait partisan, fondée sur le respect des droits humains, et non sur la guillotine. Elle serait une république sociale, car si lui ne pouvait abolir la souffrance humaine, l�abolition de la pauvreté était possible et nécessaire. Au congrès de la Paix, à Lausanne, en 1867, Hugo alla encore plus loin dans sa pensée: cette république ne serait pas seulement sociale, elle serait socialiste: "Citoyens, le socialisme affirme la vie, la république affirme le droit. L�un élève l�individu à la dignité d�homme, l�autre élève l�homme à la dignité de citoyen. Est-il un plus profond accord?" Utopie? Il prêcha l�unification de l�Europe, la considérant comme un pas décisif vers la république universelle, et cela, à l�époque, était une chimère. Aujourd�hui, l�Europe unie est une réalité. Il est instructif de savoir comment il voyait, en 1855, les contours de cette Europe. "Le continent serait un seul peuple; les nationalités vivraient de leur vie propre dans la vie commune; l�Italie appartiendrait à l�Italie, la Pologne appartiendrait à la Pologne, la Hongrie appartiendrait à la Hongrie, la France appartiendrait à l�Europe, l�Europe appartiendrait à l�Humanité. (...) Le groupe européen n�étant plus qu�une nation, l�Allemagne serait à la France, la France serait à l�Italie ce qu�est aujourd�hui la Normandie à la Picardie et la Picardie à la Lorraine; plus de guerre, par conséquent, plus d�armée. (...) Une monnaie continentale, à double base métallique et fiduciaire, ayant pour pont d�appui le capital Europe tout entier et pour moteur l�activité libre de deux cents millions d�hommes, cette monnaie, une, remplacerait et résorberait toutes les absurdes variétés monétaires d�aujourd�hui, effigies de princes, figures de misère (...)". Non, non il n�est guère prudent de ridiculiser les prévisions d�un auteur qui 147 ans avant, annonce l�avènement de l�euro. Il prophétisa, dans un extraordinaire poème, Le satyre, la conquête définitive de la terre, des mers et des airs, et prévit, à la fin de la première série de la Légende des siècles, non seulement le triomphe de la navigation aérienne, mais aussi la réalisation des voyages inter-stellaires: "Et peut-être voici qu�enfin la traversée / Effrayante, d�un astre à l�autre, est commencée!" Et pourquoi n�aurait-il pas vu juste dans sa vision anticipée d�une république universelle, démocratique et sociale?

Mais supposons que les grandes prémonitions de notre prophète soient réellement utopiques dans les conditions actuelles. Dans ce cas, nous devons faire ce que les psychanalistes font quand un patient écarte une interprétation véridique au nom de la réalité: si cela arrive, c�est la réalité qui est fausse, et non l�interprétation. La réalité répressive ne peut être utilisée comme un tribunal de dernière instance pour réfuter une pensée libératrice. Même si Lyotard a raison lorsqu�il décrète l�extension des grands idéaux illuministes � ce qu�il nomme les "grandes narratives"- il n�est pas inutile de les invoquer car, leur rejet par le monde moderne en dit davantage sur ce monde que beaucoup de concepts tirés de l�actualité plus vivante. L�importance contemporaine de certaines idées peut être obsolète, parce que ces idées témoignent contre un présent qui les transformera en anachronismes. Sur ce critère, les guerres interethniques et les agressions impérialistes qui terminent le second anniversaire de notre siècle, n�ont pas le pouvoir d�invalider les rêves de fraternité universelle de Hugo. C�est notre présent qui doit être marqué au fer rouge pour ne pas avoir su transformer ces rêves en réalités historiques.

Quand le 19è siècle avait deux ans, le Brésil était une société "esclavagiste". La pensée de Hugo fut utilisée par nos abolitionnistes pour défendre la cause de l�extinction du régime servile. Maintenant, c�est notre siècle qui a deux ans; que voyons-nous dans notre pays? l�institution monstrueuse fut formellement abolie, mais ce que Nabuco appelait l� "oeuvre de l�esclavage", survit dans toute son infâmie: la pauvreté abjecte dans laquelle vivent de larges pans de la population brésilienne, composée en grande partie de descendants d�anciens esclaves. Il ne serait pas mauvais d�aller chercher chez l�auteur des Misérables l�inspiration pour éradiquer cette terrible séquelle de l�esclavage.

 

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