ACTES


Ce siècle a deux ans: A propos du bicentenaire de Victor Hugo

Sérgio Paulo Rouanet

Cette fascination peut être mesurée, en premier lieu, par les références au propre Hugo. Une des plus anciennes se trouve dans le poème "Sub tegmine fagi", de Castro Alves : "Irei contigo pelos ermos, lento / Cismando, ao pôr do sol, num pensamento / Do nosso velho Hugo! / Mestre do mundo! Sol da eternidade / Para ter por planeta a humanidade, / Deus num cerro o fixou". Parodiant un poème du propre Hugo, où ce dernier compare deux îles,, la Corse et Sainte Hélène, lieux de la naissance et de la mort de Napoléon, Castro Alves compare Sainte Hélène, lieu d’exil de Napoléon, à Jersey, lieu d’exil de Victor Hugo : "São dois marcos milionários / Que Deus nas ondas plantou. / Dois rochedos onde o mundo / Dois prometeus amarrou!... / São eles os dois gigantes /Num século de pigmeus". Pedro Luís exalte le Hugo exilé : "Ei-lo! O gigante altivo! O poeta soberbo! / Na ilha do exílio por ele sagrada! / Impávido encara da terra os tiranos / Brandando à sua pátria vencida, humilhada. / Não canta somente do mundo as desgraças, / Não chora somente do povo o martírio; / Anima, incendeia com a luz da esperança / Aqueles que passam da dor ao delírio / E aqueles que crêem, que esperam gemendo / Um raio de luz, de amor e verdade / Elevam suas vistas ao gênio da França / Que espera, que geme, que quer liberdade".

L’Hugolâtrie continua encore après la mort du poète, s’étendant à une bonne partie du vingtième siècle. Les Parnassiens étaient parmi les officiants les plus enthousiastes du culte de Hugo. Olavo Bilac emprunte à Hugo les deux vers suivants qui serviront d’épigraphe à son poème "Profissão de fé": "Le poète est ciseleur/Le ciseleur est poète". Dans un sonnet de Raimundo Correia, Hugo est en même temps la muse en colère qui fustige les despotes, et la muse qui a des paroles de bonté pour les doux comme le rocher de Guernesey, qui savait repousser les grosses vagues, et offrir de la mousse aux oiseaux pour faire leurs nids.

Mais ce fut à l’occasion du décès de Hugo que sa déification atteignit les dernières conséquences. Les édifices publics mirent en berne les drapeaux. On fit une collecte pour élever une statue. Tous les journaux de la Cour et des provinces publièrent éditoriaux et poèmes pleurant la mort de l’homme du siècle. Pour Euclides da Cunha "Em nossa alma se arqueia / Cada folha imortal de seus imensos poemas / Como um céu constelado / Desses eternos sóis: o canto, a estrofe e a idéia". Joaquim Nabuco dédia au défunt un poème en français et Machado de Assis donna sa contribution avec un epicédion. Apparut même un quatrain en latin, traduit par la suite en grec, en anglais, et en français "Non periit; vivit / Namque et aetera poesia! / Nomine si Victor, mortis et ille fuit! / Augustam inveniens terram se ad sidera tollit; Qui sidus terris aethere Stella micat".

Il n’est pas mort, il est vivant, car la poésie est éternelle. Vainqueur par son nom, Victor vainquit aussi la mort elle-même. Trouvant la terre trop étroite, il est monté aux cieux. Et l’astre brille comme une étoile dans le firmament.

Un autre indice éloquent du rayonnement de Hugo nous est fourni, en second lieu, par le nombre et la qualité des traductions. Plus de cent auteurs brésiliens traduisirent Hugo, et on vit que D. Pedro II se trouvait parmi eux.

L’influence de Hugo peut être appréciée, en troisième lieu, par les plus subtils des hommages, la fusion subliminale de son style et de sa réthorique, qui va d’une certaine ressemblance de ton, à l’imitation plus ou moins consciente. Dans ce troisième registre, la culture brésilienne ne citait pas Hugo, car elle était devenue elle-même hugolienne. La présence de Hugo, on la sentit dans une grande partie du langage de l’époque, dans l’éloquence parlementaire, dans la prose, le journalisme, la poésie, tant épique que lyrique. Gonçalves de Magalhães, Gonçalves Dias, Francisco Otaviano, Álvares de Azevedo, Machado de Assis, Vicente de Carvalho, Luís Delfino, subirent tous l’influence de Hugo. L’école littéraire, dont Castro Alves fut le plus grand représentant, est essentiellement hugolienne par la richesse des métaphores, et surtout, par son importante inspiration humanitaire. On ne peut imaginer poème plus hugolien, dans la forme comme dans le fond, que "Vozes da África".

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