VICTOR HUGO


Victor Hugo et le Brésil - Ce qu'il reste de l'homme et de l'écrivain au millénaire de la mondialisation

Júnia Barreto*

Griffe très chic, spiritisme et gastronomie

Et Hugo, qu’est il devenu dans ce contexte brésilien, à la veille de son bicentenaire ? On se promène dans les rues de la ville et on voit partout des out-doors avec le nom de Victor Hugo. Il ne s’agit pas de l’écrivain lui-même, mais d’une griffe très chic de sacs féminins. Si l’on s’intéresse au spiritisme, on découvre que Hugo maintient sa « production littéraire » jusqu’à la fin des années 70 et sa popularité est de plus belle. Nous avons repérés une douzaine de titres attribués à l’esprit du poète. Le best seller, As Almas crucificadas, (19)

« dicté » par Hugo à la médium Zilda Gama, a connu sa dixième édition l’année dernière. Hugo est aussi une référence « branchée » de la gastronomie française pour les touristes brésiliens : en visite à Paris on doit manger au Procope, inauguré en 1686 et où mangeait Victor Hugo ! Actuellement il est revenu sur la scène, car la version brésilienne de la production anglaise des Misérables affiche complet depuis quelques mois à São Paulo, ce qui rend obligatoire dans la presse un résumé de l’histoire et quelques données sur la vie et l’œuvre de l’écrivain. Pour le bicentenaire, les universités USP et Unesp de l’état de São Paulo préparent un colloque sur Hugo et l’Universidade Federal de Minas Gerais réalisera au mois de juillet 2002, au sein du VIIIe Congrès International de l’Association Brésilienne de Littérature Comparée, un Symposium « Victor Hugo génie sans frontières ».

Il faut reconnaître que le rayonnement connu par la littérature aux siècles précédents, surtout au XIXe, ne s’est pas tout à fait confirmé au XXe, siècle de l’apogée de l’image. L’accélération technologique qui nous a offert le cinéma, la télévision et l’ordinateur a également apporté un mode de consommation déchaîné et une quantité démesurée de produits à avaler. La société postmoderne n’a pas le temps de digérer toute la paperasse de l’actualité et les gens veulent une littérature qui accompagne leur rythme de vie. Les Américains, grands producteurs de livres, ont créé la self help literature, qui fait un boom dans le monde entier et dont les titres sont achetés au détriment des classiques de la littérature ou de la littérature tout court. Puisque il n’y a pas le temps pour lire les classiques, il faut se contenter avec les adaptations, assez nombreuses en temps de manque d’imagination et de créativité. Et maintenant Hollywood et ses partenaires ont créé « la littérature de scénarios », plus rentable et plus adaptée à notre temps. Des scénarios de Michael Crichton on fait des livres qui se vendent plus que Proust, Gide et, pourquoi pas, Hugo ?

Calvino écrit dans Perché leggere i classici que les classiques sont des livres qui nous arrivent portant les marques des lectures précédant la nôtre et qui ont derrière eux les traits laissés dans les cultures qu’ils ont traversé. Plus on pense les connaître, à tant entendre parler, plus ils se révèlent nouveaux, inattendus, inédits, si on les lit vraiment. On dit qu’un classique est une œuvre qui provoque constamment une nuée de discours critiques sur soi, mais qui les repousse continuellement loin de soi. Les classiques comportent plusieurs définitions, mais la question demeure toujours : pourquoi les lire ? Parce qu’ils servent à comprendre qui nous sommes et où nous en sommes. (20)

Espérons que la lecture de Hugo se redéveloppera au Brésil et qu’il ne tombera pas dans l’oubli, écrasé par le libéralisme sauvage de la mondialisation...

*Júnia Barreto - Psychologue clinicienne, formée à la Faculdade de Ciências Humanas de Minas Gerais (Brésil), diplômée en Lettres Modernes (littérature et civilisation françaises) de l’université de la Sorbonne Nouvelle (France). Junia Barreto prépare actuellement une thèse de doctorat, « La Figure du monstre dans l'œuvre théâtrale et romanesque de Victor Hugo ». Elle est auteur de deux mémoires sur Hugo : l’Adaptation de Marie Tudor de Victor Hugo sous forme d’opéra par Carlos Gomes et la Monstruosité chez les héros du théâtre hugolien : une étude sur Triboulet et Lucrèce Borgia. Lors de ses séjours à Paris, elle participe aux travaux du Groupe international de travail sur Victor Hugo. Elle est également membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

"Victor Hugo et le Brésil", article publié par la Revue des deux mondes, de janvier 2002, "Hugo, Dumas et nous", p. 69-78

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