VICTOR HUGO


Victor Hugo et le Brésil - Ce qu'il reste de l'homme et de l'écrivain au millénaire de la mondialisation

Júnia Barreto*

« Dans ce vaste Brésil, aux arbres semés d'or
Passeront le Progrès, la Force et la Clarté »

Les connaissances de Hugo sur le Brésil ne se résumaient pas aux idées reçues qui circulaient à l’époque. Malgré la part de l’imaginaire hugolien, les références données par un passage des Travailleurs de la mer démontrent de bons repères géographiques sur la région centre ouest, une région peu peuplée jusqu’aujourd’hui, avec un relief et un réseau hydrographique très importants.(8) Dans l’un des voyages de Mess Lethierry « sur le fleuve Arinos, affluent du Tocantins, dans les forêts vierges au nord de Diamantina (sic), il avait constaté l'effrayant peuple chauve-souris, les murcilagos, hommes qui naissent avec les cheveux blancs et les yeux rouges, habitent le sombre des bois, dorment le jour, s'éveillent la nuit, et pêchent et chassent dans les ténèbres, voyant mieux quand il n'y a pas de lune. » (9)

Hugo ne s’est pas arrêté là. En 1871, il publie dans un journal belge un article applaudissant la création de la « Lei do Ventre Livre », (10) qui libérait dorénavant tous les nouveau-nés de parents noirs. En 1884 il se réjouit de la nouvelle de l’affranchissement par les états de l’Amazonas et du Ceará de leurs derniers esclaves.

Enfin il aurait dédié au Brésil un poème, envoyé au club républicain de l’état de la Paraíba, lors de sa création, et qui n’ayant été publié dans aucun recueil posthume, ne figure pas dans les éditions de ses œuvres complètes ; le voici, marqué par une versification fort irrégulière: (11)

 

J’aime votre patrie au ciel toujours pur,
Paradis qui se berce entre les flots d’azur,
Où le soleil brûlant, comme un phare
féerique,
Couvre de ses rayons le sol de l’Amérique.
Vous êtes le printemps et moi, je suis
l’hiver;
Je suis le soir tombant, vous le jour frais
et clair,
Et j’aime à regarder l’aurore s’épanouir.
Oui! je sens de la force et de la joie me
venir
À vous voir. Vous croissez. L’Europe, le
vieux monde,
Dans l’histoire a vécu la rapide seconde
De sa vie. Vous serez l’Europe,
après-demain.
Le moment est critique. Eh! bien, prenez
la main
De l’Avenir puissant qui vous attend.
Alors, Dans ce vaste Brésil aux arbres semés d’or,
Passeront le Progrès, la Force et la Clarté:
On voit sur votre front une aurore d’été.
(12)

 

Nous pouvons dire que la fascination pour les idées et le patrimoine artistique de Hugo a commencé très tôt au Brésil. La présence littéraire du poète, romancier, dramaturge et théoricien dans la vie littéraire et artistique (13) du XIXe siècle brésilien est très forte. Ses textes deviennent familiers chez nous presque en même temps qu’en France et certains, comme Les Châtiments, Histoire d’un Crime et, surtout, Napoléon le Petit, seront constamment cités dans les tribunes, la presse et les discours politiques. L’admiration n’allait donc pas seulement à l’écrivain romantique de la préface de Cromwell, mais surtout au Hugo politique, celui qui a introduit le prolétariat dans la littérature et qui a fait de son œuvre un portrait monumental des événements du XIXe siècle. Hugo est devenu une véritable source d’inspiration pour ses confrères brésiliens et aussi, parfois, objet de parodie. De celles de ses textes théâtraux à la flagrante intertextualité de sa rhétorique présente chez les représentants du Condoreirismo (14) (les thèmes, les images, le vocabulaire, les antithèses frappantes, les vers grandiloquents, etc.), Hugo a été lu, traduit, admiré et imité non seulement par un grand nombre de poètes et romanciers de l’école romantique brésilienne, mais aussi par beaucoup d’autres écrivains postérieurs. Ses traductions sont fort nombreuses. La première, celle d’un poème des Feuilles d’automne, daté de 1841, faite par Maciel Monteiro.. (15)

Hugo compte plus d’une centaine de traducteurs brésiliens et, selon les données fournies par la « Fundação Biblioteca Nacional », plus de soixante-dix ouvrages de traductions et d’adaptations de son œuvre ont été publiés. L’œuvre romanesque a été traduite intégralement. Les Misérables ont reçu le plus grand nombre de traductions (à peu près 18), suivis de Notre-Dame de Paris et Les Travailleurs de la Mer (10) et Quatrevingt-treize (7). Malheureusement, le théâtre hugolien n’a pas été autant diffusé et les seules pièces traduites semblent avoir été Hernani et Marie Tudor. Quelques anthologies réunissant des traductions de divers poètes brésiliens, mais aucun recueil ne paraît avoir été traduit dans son intégralité, à part, curieusement, La Pitié suprême. Les dernières publications ont été : Les Derniers jours d’un condamné (1990) ; Notre-Dame de Paris et Napoléon le petit (1996) ; Les Misérables (1998) et William Shakespeare (2000).

Mais l’œuvre hugolienne n’a pas connue que la gloire au Brésil. Après la mort du poète qui a si bien représenté le XIXe siècle et les envols des formes littéraires, le patrimoine de Hugo a été peu à peu mis en question. À l’occasion du cinquantenaire de sa mort, la même querelle qu’en France a opposé les hugolâtres et les hugophobes s’est aussi reproduite au Brésil.

Le XIXe siècle brésilien, un peu intimidé d’abord par les modèles français, s’en est démarqué graduellement, afin de recréer ses propres courants artistiques et philosophiques, ses institutions et ses modèles politiques et économiques. Cette émancipation culturelle se radicalise avec le mouvement moderniste, déclenché par la « Semana de Arte Moderna » de 1922, confirmant le désir et l’existence de la brésilianité. Dès le milieu du XIXe siècle, la politique étrangère brésilienne semblait déjà accorder moins d’importance à l’Europe et plus aux États Unis. Il régnait entre ces deux pays, nommés à l’époque de « Minotaure de l’Amérique du Sud » et de « Colosse du nord », une cordialité extérieur importante, malgré l’état de tension intérieur. Mais jusqu’en 1941 le Brésil a résisté à un rapprochement trop étroit avec les États-Unis, qui cherchaient à tirer parti de chaque détail des négociations politiques et économiques. La Seconde Guerre ne fait qu’accentuer la présence matérielle des États-Unis dans la vie économique et culturelle des autres pays américains. De son côté, la France, qui a subi alors une défaite, n’a pas retrouvé le dynamisme économique et le message politique qu’elle aurait pu transmettre, et a trop compté sur le rayonnement de sa culture pour maintenir ou rétablir son image de puissance. Mais le fait culturel est souvent relégué au second plan en politique étrangère. (16) Ces dernières années ; les liens qui existaient se sont encore distendus. La fin de la dictature brésilienne a provoqué le retour des élites intellectuelles exilées en France. Selon les spécialistes du sujet, la tâche qui les attendait au Brésil « ne leur a pas laissé le loisir de méditer sur les éventuels bénéfices d'une intensification des relations bilatérales ». (17) La France s’est plutôt concentrée sur la construction de l’Union Européenne. Dans le domaine culturel, Français et Brésiliens ont toujours l’air hypnotisé par le rayonnement américain, soutenu par une riche et puissante compétence médiatique.

Avec l’éloignement de la France du Brésil et l’avance de l’américanisation, la culture française a perdu sa place primordiale. En moins d’un siècle, le français a régressé du premier au troisième rang, cédant la place à l’anglais et puis à l’espagnol. Il n’y a presque plus d’écoles et de lycées qui enseignent le français et il est en train de disparaître des épreuves du baccalauréat, comme option de langue étrangère. Dans les universités, on ne trouve presque plus l’option pour les études françaises et il devient très rares les facultés de Lettres qui maintiennent leur D.E.A. et leur Doctorat en langue et littérature françaises, ce qui fait que la recherche perd de sa représentativité. Dans le catalogue du site des Groupes de Recherches du Brésil on ne trouve que trois travaux sur Victor Hugo concernant Les Misérables. Une vingtaine d’articles ont été publiés dans les revues spécialisées depuis 1985 et deux communications concernant l’œuvre hugolienne présentées au 12e congrès latino-américain de professeurs de français, réalisé à Rio, en juin 2001. Parmi les ouvrages critiques publiés depuis 1985, on peut signaler quelques traductions d’études françaises et un livre brésilien consacré à l’actualité de sa poésie. Dans la presse, nous avons pris, à titre d’exemple, l’un des plus connus périodiques du pays, Folha de São Paulo et nous y avons trouvés à peu près une douzaine d’articles sur Hugo depuis 1985. Ils étaient presque tous liés à des événements médiatiques : la sortie du dessin animé des studios Disney, The Hunchback of Notre Dame ; l’exposition Shadows of a hand, à New York, de dessins de Hugo ; le spectacle musical, version brésilienne, Les Misérables. Dans leur majorité, les articles manquent du sérieux, commettent des imprécisions et se complaisent dans le ragot : les détails de la vie sexuelle de Hugo à 70 ans semblent beaucoup intéresser le journaliste et critique Robert Hughes. (18)

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