ACTES


Victor Hugo: la face occulte d'un génie

Maria do Carmo M. Schneider
UFES

Malgré son souci de ne pas se laisser influencer par les êtres qui peuplent le monde invi-sible, cette communication permanente avec les morts pendant son exil à Jersey a influencé sensiblement les oeuvres écrites dans les années qui suivirent 1853, surtout les principaux poèmes du livre Les contemplations et les pages que nous présentons ci-dessous.

Dans une très belle page poètique de Contemplations, écrite en 1854, intitulée Ce qui c'est la mort , il dédie ces vers aux incroyants: " Ne dites pas mourir ; dites naître: Croyez. " (9)

C'est une fois de plus, dans les Contemplations qu'il chante la soumission de l' homme à la volonté de Dieu, face aux douleurs qui affectent l' humanité; Hugo afirme alors dans le poème
À Villequier:

Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme
Ouvre le firmament;
Et que ce qu' ici bas nous prenons pour le terme
Est le commencement. (10)

Infiniment affligé par l'absence de sa fille morte, Hugo écrit les vers Demain, dès l'aube, dans lesquels il dialogue, à mi-voix, tendrement, avec sa fille, qu' il sent vivante auprès de lui:

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne
Je partirai. Vois - tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne,
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. (11)

Dans un manuscrit adressé à l'écrivain Arsène Houssaye, Hugo envoie une belle poésie au sujet de la réincarnation et de l'évolution progressive de l'esprit humain, intitulée Les destinées de l' âme, dont les vers suivants résument parfaitement la thématique:

L' homme est l' unique point de la création
où pour demeurer libre en se faisant meilleur,
L' âme doit oublier sa vie antèrieur.
Il se dit : mourir c' est connaître.

Nous cherchons l' isthme à tâtons;
J'étais, je suis, je dois être.
L'ombre est une échelle, montons. (12)

À propos de l'immortalité de l'âme, de la progression des esprits, de la pluralité des mondes, Hugo expose, dans Post-Scriptum de ma vie, les considérations suivantes qui marquent l'influence des postulats spiritistes dans sa pensée philosophique:

a) Dieu est éternel. L âme est immortelle.
b) La création est ascension pérpetuelle de la brute vers l'homme, de l' homme vers Dieu. Dépouiller chaque fois plus la matière, revêtir chaque fois plus l'esprit, telle est la loi. Chaque fois qu'on meurt, on gagne plus de vie. Les âmes passent d'une sphère à une autre sans perdre leur ego, deviennent chaque fois plus lumière et s'approchent sans cesse de Dieu.
..........................................................................................
C'est cette ascension infinie, pérpetuelle recherche de Dieu, qui pour l' âme est l' immortalité.
c) Mourir c'est changer de vêtements. Âme, vous etiez vêtues d'ombre; allez maintenant vous vêtir de lumière.
d) Je suis une âme. Je sens bien que ce que j'emporterai dans ma tombe ne sera pas mon moi. Cet ego ira au-delà. Terre, tu n'es pas mon abîme! (13)

On pourrait ajouter à ceux-ci beaucoup d'autres exemples qui prouveraient qu'il croyait aux postulats et aux principes de la Doctrine Spiritiste. L'influence du spiritisme dans la production de ce celébre exilé de Jersey est présente dans ses vers, dans sa prose et aussi dans les acts de sa vie féconde et laborieuse. Camille Flammarion affirme dans les Annales Politiques et Littéraires, le 7/5/1899:

Victor Hugo, qualques années avant sa mort s'est personnellement entretenu avec moi à Paris; il n'a jamais cessé de croire aux ma-nifestations des esprits. Cette inébranlable croyance dont les racines remontent aux expériences de Jersey, lors des fréquentes séances avec les tables parlantes, fut, pour le géant de la littérature du XIX e siècle, la motivation pour la vie, le travail et l' amour de ses semblables. (14)

On a cherché dans les affirmations de Hugo lui-même, en tant qu'esprit impérissable, les mots prononcés à la fin de sa vie, mots qui deviennent une véritable profession de foi spi-rituel et avec lesquels on fermera ce travail:

Je sens en moi la vie future. Je suis comme une forêt qui fut un jour coupée et où les nombreux bourgeons sont plus forts et plus vivants que jamais. On a dit que l'âme n'est que le ré-sultat du pouvoir du corps. Pourquoi, alors, mon âme est plus lumineuse quand le pouvoir du corps commence a affaiblir ? Plus je m' approche de la fin, mieux j'entends les symphonies immortelles de mondes qui m'appellent. Ceci est merveilleux et cependant tout simple. C'est un conte de fée et une histoire. Durant un demi-siècle j'ai écrit mes pensées en prose, en vers, en philosophie, drame, roman, satire, ode chanson. J'ai tout essayé mais je sens que je n'ai dit un millième de ce qui existe en moi. Quand je descendrai la tombe, je pourrai dire comme tant d'autres: mon jour de travail commencera de nouveau demain matin. La tombe n'est pas une impasse, c'est un passage. Il se ferme au crépuscule et l' aurore vient l'ou-vrir de
nouveau. (15)

(9)   HUGO, Victor. Les Contemplations. Paris: Nelson Éditeurs, 1856, p. 412.
(10) HUGO, Contemplations, p. 255.
(11) HUGO, Contemplations, p. 253.
(12) HUGO, Victor apud DUPOUY, Edmond. L' au-de-là de la vie. Paris: [s.n.], 1917, p. 217-218.
(13) HUGO, Victor. Obras completas.Tradução de Hilário Correia. São Paulo: Américas, 1959, 44 v.
       V. 32, tomo 2: Pós- escrito de minha vida, p. 31.
(14) FLAMMARION, Camille, 1899, p.291.
(15) HUGO, Victor apud DUPOUY, Edmond, 1917, p. 216-217.

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