ACTES


Stratégies de séduction et de persuasion du sujet-communiquant Victor Hugo

Ida Lucia Machado
UFMG

En effet, nous l'avons repérée, pour la première fois, chez Charaudeau, dans son livre Langages et discours (1983). En ce qui concerne la terminologie, il faut rappeler que le linguiste parle soit d'un " sujet-communiquant ", soit d'un " JE communiquant " (2), les deux expressions ayant le même sens.

Pour mieux éclaircir le lecteur ou l'auditeur peu habitué aux bases de la Sémiolinguistique, théorie discursive créée par ce théoricien (op.cit), nous proposons dans la suite, une rapide exposition de son schéma énonciatif, ou figure le sujet cité ci-haut. Selon cette théorie, les sujets de l'énonciation sont en nombre de quatre et se distribuent dans deux circuits : (i) le circuit de la parole configurée où nous trouverons des êtres de parole et (ii) le circuit externe à la parole configurée, où se trouvent des êtres empiriques, des sujets agissants, sachant organiser le monde réel en monde langagier.

JEc                                   JEé    <--------------->   TUd                                   TUi
Il*                                   il

Les quatre sujets, distribués deux à deux, occupent deux espaces distincts: nous voyons, d'un côté, un Je-communiquant (JEc) et un Tu-interprétant (TUi) qui occupent un espace (ou un circuit) externe, l'espace du faire, espace inseré dans l'ordre du psycho-social; JEc et TUi sont donc des acteurs sociaux, des partners de l'acte du langage de la parole énoncée. D'un autre côté, le duo Je-énonciateur (JEé) / Tu-destinataire (TUd) occupe un espace interne ou en d'autres termes, l'espace du dire, puisqu'il s'agit d' êtres de parole qui personnifient les protagonistes de l'énonciation. Ainsi pour produire un énoncé ou un texte, le JEc organise le monde réel (il) en monde de paroles (il*) et pour ce faire il a besoin de mettre en place un JEé et un TUd. C'est au TUi d'accepter (ou pas) cet énoncé ou ce texte.

D'après ce point de vue, Victor Hugo occuperait donc la position d'un sujet-communiquant : celle d'un homme qui a vécu au XIX e. siècle, ayant une histoire et une biographie, une vie privée et une vie publique. Dans cette dernière il a joué plusieurs rôles, comme on le sait tout un chacun : celui d'écrivain-phare du mouvement romantique en France, celui d'homme politique qui soutenait la liberté démocratique... Bref, Victor Hugo, sujet-communiquant, doit être vu comme un homme qui a vraiment existé, avec ses qualités et non-qualités (3) enfin, quelqu'un qui a marqué son siècle. Toujours en suivant les critères de la Sémiolinguistique, nous dirons que pour composer son oeuvre écrite il a mis en place un sujet-narrateur ou un JEé ; il s'y est donc " dédoublé " , d'une certaine façon.

Ce faisant, soulignons qu'il n'a pas gardé une " neutralité " face aux événements du quotidien qui l'entourait. Comme le dit bien Maingueneau (1993 :28) " l'écrivain nourrit son oeuvre du caractère radicalement problématique de sa propre appartenance au champ littéraire et à la société ". Pour ce théoricien (op.cit), l'écrivain n'est pas une sorte d'être mythique, un " centaure ", divisé entre la terre et les étoiles, ou entre le réel et l'imaginaire, mais " quelqu'un dont l'énonciation se constitue à travers l'impossibilité même de s'assigner une véritable " place ". "

Ainsi pour écrire, le sujet-communiquant Victor Hugo a créé un sujet-narrateur et l'a donc influencé, lui transmetant ses goûts et ses croyances, d'une façon ou d'une autre. Ni tout à fait indépendent, ni tout à fait dépendent du JEc : c'est ainsi que nous voyons ce sujet-narrateur, ou ce JEé. Or, en tant que sujet-communiquant, Victor Hugo avait un projet de parole soutenu, nous nous en doutons, par deux intentions de base : celle d'amuser le lecteur et celle de le " réveiller ", le faire prendre conscience des problèmes politiques et sociaux de son époque. Pour mettre en oeuvre ce projet de parole ou, si vous préférez, ce projet d'écriture, Victor Hugo a prodigué plusieurs stratégies à son sujet-énonciateur-narrateur.

Nous allons en examiner quelques-unes en avançant, d'ores et déjà qu'elles s'appuyent toutes sur deux facteurs: la séduction et la persuasion.

2. La captation du lecteur : quelques cas de figure

L'AD ne doit pas se confondre avec une simple analyse de textes ou pire encore avec une analyse d'extraits de textes : un texte, dans le domaine de cette discipline, doit être considéré dans et avec son contexte. Néanmoins, il nous est impossible, pour des raisons faciles à deviner, de transcrire ici, par exemple, tous les six mille vers qui constituent l'édifice appellé Les Châtiments (1853) de Victor Hugo. Comme on devra se restreindre à une partie de cette cathédrale nous y avons choisi le poème intitulé Souvenir de la nuit du quatre. Ce faisant, nous adopterons une hypothèse déjà annoncée par Charaudeau (1983 :154) selon laquelle le projet de parole d'un écrivain a lieu dans " une mise en scène qui couvre l'ensemble de son ouvrage et, à la fois, se retrouve dans la moindre de ces parties. "

(2) JEc, selon l'abréviation proposée par Charaudeau (op. cit.)
(3) "Qualités " et " non-qualités " : voilà des axiologiques " dangereux " puiqu'ils impliquent un jugement
      de valeurs bien personnel, dont nous préférons nous abstenir...

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