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ACTES |
Victor Hugo et le modèle brésilien
Flávio
Kothe
I L'histoire est, souvent, oubli. Métamorphose de la tragédie des vaincus en épopée des vainqueurs, triomphe de l'injustice : dans les actes, dans la mémoire et dans l'omission. L'acte qui consiste à rappeler le souvenir d'un homme ou d'un évènement, quoique légitime, devrait surprendre : on a coutume de confondre l'histoire avec le souvenir que conserve l'historiographie. Toute date est commémorée dès lors que l'objet de la commémoration est utile au renforcement des valeurs véhiculées par le système en place, valeurs qu'il est impératif de réaffirmer, car elles courrent le risque d'être oubliées ou reniées.
Le plus souvent, on commémore davantage, en Victor Hugo, le républicain, le défenseur des opprimés et des exclus que l'écrivain en soi, même sí l'on affirme ne rappeler que le souvenir de l'auteur. Rester dans la mémoire des hommes ou tomber dans l'oubli sont deux démarches qui dépendent des règles sociales en place et qui transforment un acte en évènement historique ou en fait divers. II
De
nombreux écrivains brésiliens du XIXème siècle
citent Hugo. Si l'on en croit l'étude d'Anderson Braga Horta, on
trouve des références chez des poètes romantiques
comme Gonçalves Dias, Álvares de Azevedo, Casimiro de Abreu,
Castro Alves et Souzândrade, mais rien en revanche chez Laurindo
Rabelo, Junqueira Freire ou Fagundes Varela (1).
Castro Alves a cité Hugo en épigraphe pour orner et légitimer certains poèmes, mais on note chez lui - bien qu'il soit présenté comme "Le poète des esclaves" - une attitude à l'opposé de celle du républicain français : dans "Le Négrier", Castro Alves affirme que la place des noirs est en Afrique où ils auraient tout le loisir de chasser le lion ; dans "La Cascade de Paulo Afonso", quand le nègre apprend que sa fiancée a été violée par le fils du fermier, on lui conseille de ne pas réagir, parce que l'autre est son frère, ce qui signifie qu'à l'heure de demander justice, tous les hommes sont frères ; dans "Lúcia", le poète ne fait rien, pas un geste pour "le petit de la ferme", revendu comme esclave. (2)
Machado
de Assis a traduit "Les Travailleurs de la Mer", mais il n'a
pas écrit d'oeuvre du même type, dont le thème central
fût la classe la plus pauvre de travailleurs : il a choisi les riches.
C'était un bon serviteur de l'Empire, jamais, ni de près
ni de loin, il n'a été menacé de poursuites ou d'exil
par l'Empereur, comme Hugo. Pedro II avait de l'admiration pour l'écrivain
français. Entre un adultère et une révolution, Machado
a choisi l'adultère, mais pour condamner l'un et l'autre, et non
pour proposer une voie d'émancipation et de critique comme l'ont
fait Flaubert et Tolstoi. On ne trouve rien chez lui de semblable à
Quatre-vingt-treize, pas d'oeuvre fondée sur un changement politique
radical (comme par exemple la lutte pour l'indépendance, les tensions
résultant de l'unification du pays, l'abolitionnisme,
Bernardo Guimarães, dans L'esclave Isaura - oeuvre fortement influencée par La Case de l'Oncle Tom et par le poème "Lucie" de Musset grâce à la variante de Castro Alves réalisée à partir d'une traduction de Machado de Assis - fait du jeune Álvaro, l'orphelin, riche héritier, un"presque socialiste" par "ses idées avancées" : ce "presque socialisme", ne manque pas d'être "révolutionnaire" : au lieu de l'esclavage, il propose aux noirs le systéme féodal du "fermage à mi-fruit", dans lequel la grande propriété reste entre les mêmes mains. (3)
(1) Anderson Braga Horta, Fernando Mendes Vianna et José Jerónymo
Rivera. Victor Hugo, deux siècles de poésie,
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