ACTES


Médiations et valeur dans le drame hugolien

Lídia Fachin
Unesp

D'autres aspects du carnaval et des actes carnavalesques sont visibles chez Hugo parce que endossés esthétiquement dans sa production, dramatique ou autre, dont celui qui marque et synthétise la nouveauté du drame hugolien: l'in-détronisation du roi du carnaval; à la base de ce rituel se trouve la quintessence, le noyau profond de la perception du monde carnavalesque:
le pathos de la déchéance et du remplacement, de la mort et de la renaissance; après tout, le carnaval est la fête du temps destructeur et régénérateur (6), et l'in-détronisation est un rite ambivalent qui exprime à la fois le caractère inévitable et la fécondité du changement-renouveau; ambivalente depuis l'origine, elle contient en elle l'idée de la détronisation future. En ce sens, rien n'est plus carnavalesque que la co-présence, dans le drame hugolien, d'un bandit et d'un proscrit (Hernani) qui aime et qui est aimé d'une dame de la cour; ou d'un noble déchu (Don César de Bazan) qui, sous le nom de Ruy Blas, devient un aventurier et un être en marge de la société, bien que sous une troisième identité; d'origine modeste, Ruy Blas finit par parvenir à la fonction de Premier ministre pour être ensuite précipité dans la décadence et la mort. En effet, dans le carnaval on intronise un esclave ou un bouffon (7), c'est-à-dire, le contraire d'un vrai roi. Il s'agit là d'un fait qui explicite le monde à l'envers, car le carnaval fête le changement et proclame la joie dans la relativité universelle. À l'intérieur du processus littéraire, les images littéraires apparaissent toujours doubles, car elles rassemblent les deux pôles du changement et de la crise: naissance et mort, bénédiction et malédiction, éloge et injure, jeunesse et vieillesse, haut et bas... La pensée carnavalesque est riche en images qui s'orientent par la loi des contrastes - petit/grand, gros/maigre - et des ressemblances - doubles, jumeaux -, loi qui constitue l'apanage du grotesque chez Hugo. En ce sens, le drame hugolien rappelle les excentricités du monde carnavalesque, l'infraction à l'habituel et au commun, et la vie en dehors des ornières. Une fois de plus Hugo devance Bakhtine lorsqu'il a recours au feu carnavalesque destructeur et régénérateur.

Quoique Hugo fasse un usage très particulier de la parodie, il est important de souligner qu'elle se définit au départ par son caractère carnavalesque: inséparable de la satire ménippée et de tous les genres carnavalesques, la parodie est entièrement étrange aux genres purs: épopée et tragédie. Dans l'Antiquité la parodie était inhérente à la perception carnavalesque du monde. Elle créait un double détronisant qui n'était rien d'autre que le monde à l'envers. De là son ambivalence. Ainsi, le drame satirique était, à l'origine, une imitation comique de la trilogie tragique. Ce n'était évidemment pas une pure négation de l'objet parodié. Toute chose a sa parodie, c'est-à-dire son aspect comique, car tout renaît et se renouvelle à travers la mort (8). Dans la parodie littéraire formelle, au sens strict actuel, le lien avec la perception caranavalesque du monde a presque entièrement disparu (9). Cependant, rien n'est plus proche de la révolution esthétique opérée par le drame romantique, dans sa rupture avec la tragédie classique française. On pourrait parler, dans le cas de Hugo, de parodie en tant que chant parallèle au sens que lui attribue Linda Hutcheon (10), mais peut-être également en tant que distanciation critique par rapport à la poétique classique. C'est ce que propose Hugo dans sa Préface de Cromwell en forme de manifeste-programme; après tout, Hernani et Ruy Blas ne sont-ils pas des rois de parodie?

D'autre part, Hugo semble vouloir donner au grotesque une base décidément philosophique: le dualisme chrétien, qu'il expose dans la Préface:

Une religion spiritualiste ... enseigne à l'homme qu'il a deux vies à vivre ... elle lui montre qu'il est double comme sa destinée, qu'il y a en lui un animal et une intelligence, une âme et un corps (11) ; ...
le christianisme a dit à l'homme: "Tu es double, tu es composé de deux êtres, l'un périssable, l'autre immortel, l'un charnel, l'autre éthéré, l'un enchaîné par les appétits, les besoins et les passions, l'autre emporté par les ailes de l'enthousiasme et de la rêverie (12);
mais le dramaturge donne en fait à son drame un fondement sociologique et littéraire: grotesque = peuple (13).

6.   BAKHTINE, 1970, p. 172.
7.   BAKHTINE, 1970, p. 172.
8.   BAKHTINE, 1970, p. 175.
9.   BAKHTINE, 1979, p. 176.
10. HUTCHEON, Linda. Poética do pós-modernismo. Trad. Ricardo Cruz, Rio, Imago, 1991.
11. 1968, p. 66.
12. 1968, p. 78.
13. UBERSFELD, Anne, Le roi et le bouffon. Paris, Librairie José Corti, 1974, p. 463.

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