ACTES


Le romantisme frénétique de Han d´Islande

Ana Luiza Silva Camarani
Unesp

Livré au public en février 1823, Han d´Islande a produit un grand effet sur les milieux littéraires parisiens; les polémiques suscitées par cette publication ont été nombreuses et violentes: ce roman semblait s'éloigner de la conception de romantisme, au moment où le mouvement se formait. Les défenseurs de la nouvelle littérature et les adeptes du classicisme ont adopté des points de vue semblables par rapport au texte de Hugo.

Em mars 1823, dans la Quotidienne, sans oser patronner l'oeuvre ni reconnaître sa posterité, Charles Nodier fait un vif éloge du talent du jeune romancier:

On reconnaît dans Han d'Islande beaucoup d'érudition, beaucoup d'esprit [...], un style vif, pittoresque [...] et, ce qu'il y a de plus étonnant, cette délicatesse de tact et cette finesse de sentiment qui sont des acquisitions de la vie, et qui contrastent ici de la manière la plus surprenante avec les jeux barbares d'une imagination malade
[...] (1).

Ainsi Nodier, un royaliste, un romantique, fait cependant des réserves formelles sur l' inspiration de Han d´Islande. Comment les libéraux classiques n'en feraient-ils pas?
Le Mercure du XIXème siècle, qui venait d'être fondé par une équipe de doctrinaires, publie un article fort sévère pour le roman:

L'auteur ne se nomme point. C'est, dit-on, un poète [...]. Il est, assurent quelques personnes, une des colonnes de la Société des Bonnes-Lettres (2): on l'accueille dans certains salons; de grands seigneurs le protègent; le Trésor le pensionne. Un écrivain si bien entretenu ne devait pas rester inactif; il a senti cette obligation, et c'est sans doute pour la remplir qu'il a publié Han d'Islande [...].
Les métaphysiciens prétendent que le génie est voisin de la démence. S'il en est ainsi, on peut dire que l'auteur de Han d'Islande n'est pas très éloigné du génie [...]. L'explication la plus favorable que l'on puisse offrir sur l'origine de ses inspirations, c'est de dire qu'il a subit les tourments d'un long cauchemar, pendant lequel il a rêvé les quatre volumes de Han d'Islande (3).

Les amis de Victor Hugo se sont émus de cet article. Une controverse pénible entre les éditeurs du roman et l'auteur a attiré encore davantage l'attention du public. Le roi - Louis XIII - a accordé au poète une nouvele pension de deux mille francs.

Ce qui s'est passé, en effet, c'est que le romantisme a été vu pendant longtemps comme un simple genre poétique ou dramatique dans une littérature conçue comme classique. L´opposition entre classicisme et romantisme commence à s'ébaucher entre 1804 et 1810 quand des esprits ouverts et libéraux inclinent de plus en plus vers un réformisme littéraire qui doit faire son profit des apports étrangers. Vers 1816, apparaissent des traductions françaises d´auteurs de langue allemande et anglaise : Byron, Scott, Schiller, Shakespeare, Goethe. A partir de 1818, on tend à voir le romantisme comme un renouvellement littéraire commandé par le renouvellement social, et le besoin de changement commence à se faire sentir même chez les classiques. Les années suivantes sont marqués par l'influence croissante qu'exerce la politique sur la littérature : les classiques intransigeants se recrutent surtout chez les libéraux, de même que la totalité des classiques modérés ; les romantiques encore imprégnés de classicisme, ultra-royalistes en politique, ne conçoivent le renouvellement littéraire que comme un retour à une tradition chrétienne et antiphilosophique ; les romantiques philosophes veulent au contraire que la nouvelle littérature soit fille de la Révolution libératrice. À l'intérieur des partis politiques, on essaie de concilier les tendences opposées ; on remarque cependant l'existence de deux romantismes, un romantisme libéral et un romantisme royaliste, tous deux ouverts à l'étranger, tous deux partisans d'un renouvellement de la littérature en accord avec les temps nouveaux : mais l'un garde encore le respect du grand siècle, l'autre se nourrit de l'esprit encyclopédique.

1. Société créée em janvier 1821 pour combattre le libéralisme et répandre la "bonne doctrine", qui considérait
    le genre romantique comme une partie de la littérature classique et chechait l'inspiration dans la tradition
    politique et religieuse du pays.
2.
Société créée em janvier 1821 pour combattre le libéralisme et répandre la " bonne doctrine ", qui
    considérait le genre romantique comme une partie de la littérature classique et chechait l'inspiration dans
    la tradition politique et religieuse du pays.
3. Apud BRAY, p. 80-81.

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