ACTES


Hugo pourquoi pas? Pour une lecture athlétique

Jean Maurel
Collège International de Philosophie

Han, à la hache tournoyante de pierre est le frère atomique de Gavroche, pavé insurrectionnel paradoxalement rabelaisien, Hercule tubercule, enfant petit Poucet d’une géante de la race de ces sauvagesses colosses qui se cambrent dans les foires avec des pavés suspendus à leur chevelure.

Quasimodo, démon à l’agilité de singe ou de chamois, est lui-même une pierre vive descellée de la cathédrale qui prépare la dilapidation révolutionnaire de l’édifice en petits livres-pavés pour en disperser le sens et ouvrir les voies, les rues d’une culture libérée, à la mesure d’un univers d’expansion et non de recueillement exclusif.

Gilliatt, fils d’une émigrée, n’est-il pas lui-même comme une pierre expectorée par le volcan de la Révolution? Rocher jeté à la mer, sur un écueil,tempête pétrifiée, il est le centre du tourbillon excentrique d’un cyclone, figure héroïque d’un misérable qui fait de sa faiblesse une force. Comme Jean Valjean, dont la souplesse dépasse la vigueur, Gilliatt le Malin est la preuve vivante que l’Adresse est plus forte que la Force:

De taille ordinaire et de force ordinaire,il trouvait moyen,tant sa dextérité était inventive et puissante,de soulever des fardeaux de géants et d’accomplir des prodiges d’athlètes.Il y avait en lui du gymnaste;il se servait indifféremment de sa main droite et de sa main gauche....il avait les biceps du premier venue mais un autre coeur.

Que penser du révolutionnaire Cimourdain qui...de prêtre était devenu philosophe et de philosophe athlète?

Il retrouvera son élève Gauvain au pied d’un burg, d’une tour, tête de pierre anthropomorphe, figure colossale, Bastille de la Pesanteur du passé qui rencontre la guillotine. Tour dont les pierres tournent pour favoriser les évasions et faire tourner, révolutionner ses hôtes: Gauvain, pierre de la tour Gauvaine, sera décapité avec la tour, avec l’édifice hiérarchique du vieux monde au moment où son exécuteur se traverse le coeur d’un coup de pistolet.Quand la tête et l’édifice tombent avec la Hauteur, l’horizon s’ouvre comme un coeur brisé: coeur étoilé comme celui de Dea, à la mesure sans mesure d’un univers de la multitude affirmée, de la démocratie étoilée.

Car c’est bien le coeur qui définit l’athlète et lui donne cette force de concentration et d’expansion, de contraction et de dilatation, ce tour de force révolutionnaire qui condense pour les libérer, le temps et l’espace, accélère l’histoire et la rassemble dans un témoin d’exception, pourtant misérable et infime, une âme, un atome de conscience, un condensé de toute la crispation du monde, qui pourra ainsi en retourner la violence comme un ressort et la disperser, la distribuer,la donner, la dépenser par le rayonnement .

Peut-on donner un nom, identifier ce génie du coeur qui ne vit que dans, de et pour, l’expansion sans réserve de l’exemple?

Nous sommes en même temps points d’arrivée et points de départ. Tout être est un centre du monde.

Autant dire que le mouvement vivifiant de ce grand vivant, le tour retournant de son révolutionnaire tour de force à détourner les tours complaisants,trop connus et convenus des choses comme des mots, en fait un étrange athlète-spectre qui n’en finit pas d’aller imprudement au delà de lui-même. Athlète plus qu’athlète: athlète de l’impossible foetus du possible.

Athlète-problème qui emporte sa propre pesanteur loin en avant d’elle-même, comme un projectile, un promontoire ou une proposition expérimentale, athlète monstre, fait de tous les grands noms de l’histoire comme le blessé de la barricade céleste, capable de révolutionner, faire tourner, graviter le monde comme on fait tourner les tables, en rassemblant les hommes et les spectres du passé pour un festin de civilisation qui ouvre l’avenir au nom du physicien et de l’astronome des temps modernes, télescopant avec humour occultisme et lucidité scientifique pour mieux déjouer le positivisme et la crédulité. La liberté de l’esprit ne peut être que transgressive .

Cet étrange athlète ne peut inscrire les quatre lettres de son nom qu’en les dispersant aux quatre vents de l’Esprit pour vaincre le 13 de la fatalité – Quatrevingt treize – noircir son patronyme en quatuor de bandits crépusculaires, Patron Minette, l’embarquer dans une grotte sur roues en troupe errante de saltimbanques dont l’homme et l’initiale sont un loup-Homo-, le U un ours -Ursus- le G une bouche d’ogre – Gwynplaine, le O l’ astre lunaire de l’idée – Dea, s’exposer et se laisser prendre dans son oeuvre comme l’araignée, abîmant, dans une torture, une contorsion retorse toute figure, toute anatomie reconnaissable pour dessiner, designer en jeux d’ombres, les signes de vie d’un autre corps, d’une autre âme,d’un corps animé par une force, une Lumière qui n’a pas encore de nom, en Rupture avec tout ce qui amoindrit.

Que l’athlétisme d’une écriture, qui ne cesse de trahir ses griffonnages de diable dans l’encrier, transgresse le mouvement retenu des signes de la main pour aller chercher sauvagement dans l’encre la tache invisible et les traces qui "passent la ligne", n’est-ce pas la marque la plus vive de cette épreuve de force qui emporte par delà toute inscription ordinaire de la vie, de cette impatience physique bouleversante?

Spinoza disait:nous ne savons même pas ce que peut un corps. Pouvons-nous savoir ce que peut un athlète, celui qui se donne pour tâche d’accroître et de multiplier, d’affirmer la puissance du corps en l’ouvrant, sur la force d’être, d’exister, de vivre qui se confond avec l’amplitude de notre liberté?

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